Il est naturellement animé par l’envie d’apprendre, une curiosité instinctive, une capacité à créer, imaginer, découvrir. Et cela durant toute sa petite enfance (selon certaines études, un enfant de 4 ans poserait en moyenne près de 400 questions par jour. questionnement…). Certes, l’école du 21e siècle n’est plus celle de « papa », fort heureusement. Les méthodes pédagogiques, le statut de l’élève, la formation des enseignants, l’ouverture au monde… bien des choses ont changé en quelques décennies. Et en comparaison avec d’autres régions du globe, notre enseignement figure évidemment parmi les mieux lotis – aujourd’hui, plus de 61 millions d’enfants ne sont toujours pas scolarisés et on compte plus de 774 millions d’analphabètes sur la planète. Evaluer, tester, classer Aujourd’hui, l’école, malgré ses grands principes fondés sur l’égalité des chances, l’émancipation ou l’accès à la citoyenneté, reste profondément enracinée dans le mérite individuel, la compétition/confrontation, la réussite, etc. Elle fonctionne à coups de programmes, d’évaluations, de classements, de tests d’apprentissage. Ce qui, à l’échelle de l’élève, laisse peu de place pour la coopération, la solidarité, l’apprentissage en groupe et « produit l’ultra-individualisme et l’égoïsme », déplore Jean-Pierre Kerckhofs, président de l’Appel pour une école démocratique (APED) [1]. La soumission aux lois du marché L’école, en outre, est devenue un gigantesque marché. A l’échelle locale, les établissements se font concurrence. C’est la course aux financements, au marketing scolaire, aux taux de réussite que l’on affiche comme autant de trophées. Et au niveau européen et mondial, l’éducation est devenue une marchandise (presque) comme une autre. Ouverture d’écoles privées à but lucratif, étudiants endettés après avoir dû financer leurs études [2], création de centres d’excellence pour réussir les tests internationaux, fermeture de facultés universitaires jugées non rentables ou trop peu attractives… En Chine, aux USA, en Grande-Bretagne, chez nous, la tendance est là : des systèmes scolaires de plus en plus soumis aux lois du marché, qui sont appelés à fabriquer, non plus des citoyens éclairés et émancipés, mais des « techniciens efficaces », comme disait Albert Jacquard, au service d’un système économique basé sur l’accumulation de richesses à tous prix [3]. Sortir des carcans actuels « Tout système arrive à sa fin, c’est un processus naturel et notre système en est là », prédit le réalisateur d’Alphabet. On voudrait le croire. Car, au-delà du contexte inquiétant décrit ci-dessus, l’école du 21e siècle regorge aussi de ressources et d’inventivité : des éducateurs pionniers, hors pair ; des méthodes pédagogiques innovantes et prospectives ; des syndicats, des fédérations de parents, des lieux de réflexion où l’on réinterroge sans cesse le système éducatif, où l’on tente d’inverser la tendance, de sortir des carcans actuels, bref de construire une école qui instruit autant qu’elle nourrit, qui valorise autant qu’elle aide les enfants à devenir eux-mêmes : des esprits libres et des citoyens critiques. |

« Ce système [éducatif] ne produit plus des adultes heureux. » Ce cri d’alarme, c’est le réalisateur autrichien Erwin Wagenhofer qui le lance. Alphabet, son dernier documentaire, projeté en salles dès le 17 septembre et soutenu par Imagine Demain le monde, s’interroge sur la manière dont aujourd’hui, dans nos sociétés industrialisées, nous éduquons nos enfants selon un système où les critères prédominants sont l’esprit de compétition, la rentabilité, le conformisme et la peur.
Dès leur naissance et jusqu’à l’âge adulte, ils seront, qu’on le veuille ou non, classés, conditionnés, formatés. Ils seront appelés à évoluer dans un environnement plein de normes et de carcans, qui sélectionne et exclut, laissant très peu de place à l’éveil, l’esprit critique et l’imagination. Un monde qui n’aime ni les perdants ni les faibles. Et qui produit, en priorité, des individus qui seront en phase avec les exigences du marché : citoyens dociles, travailleurs malléables, consommateurs asservis, etc.
La conclusion de Wagenhofer ? Plus qu’une simple réforme de notre système éducatif, c’est un changement radical de modèle qui s’impose si l’on veut offrir un avenir plus radieux aux générations futures.
Faire « éclore » l’enfant
Eduquer, du latin educo, educare. Ce verbe signifie « nourrir », « instruire », rappelait Albert Jacquard, dans L’héritage de la liberté (Seuil, 1991). Mais il vient aussi et surtout, selon l’essayiste français, du mot e-ducere, c’est-à-dire « conduire hors de ». Traduisez : élever l’enfant, le faire « éclore » en quelque sorte. « L’objectif premier de l’éducation, soutenait ainsi le grand généticien, c’est évidemment de révéler à un petit homme sa qualité d’homme, de lui apprendre à participer à la construction de l’humanitude et, pour cela, de l’inciter à devenir son propre créateur, à sortir de lui-même pour devenir un sujet qui choisit son devenir, et non un objet qui subit sa fabrication. »
Tous les enfants ne naissent pas égaux. Tous n’ont pas le même « bagage » pour affronter la vie. Et le déterminisme, notamment social et économique, fait aussi partie du genre humain. Mais quand il vient au monde, le petit homme dispose d’un énorme potentiel et de nombreuses aptitudes.