De la crèche au secondaire, les pédagogies alternatives reviennent en force, séduisant les parents en quête d’une scolarité différente. Elles posent surtout la question d’une nécessaire métamorphose du système.

Nées au début du XXe siècle pour la plupart, ces nouvelles pédagogies prônent une école qui ne formate pas, qui n’érige pas l’échec en bâton et les bonnes notes en carotte. Et qui, accessoirement, engendre des Larry Page et des Jeff Bezos, fondateurs de Google et d’Amazon, passés par l’écurie Montessori, comme tant d’autres créatifs de la Silicon Valley. Chacune de ces pédagogies a évidemment ses spécificités et son jargon. Mais elles ont en commun de promouvoir l’autonomie des enfants et le respect réciproque entre élève et enseignant. Il faut relier cet intérêt à l’irruption d’Internet, explique Bernard Delvaux, chercheur en pédagogie à l’UCL, animateur au sein du mouvement citoyen Tout autre chose et auteur du livre Une tout autre École (Pensées libres, 2015). Internet a remis en question l’ordre établi et la légitimité des connaissances. Aujourd’hui, les élèves vont moins facilement croire la parole de l’enseignant, tout comme on croit moins facilement la parole du médecin, du chercheur, etc. Dans ce contexte, la relation entre le maître et l’élève ne peut plus rester la même, analyse-t-il.

Maria Montessori et ses amis pédagogues, qui promouvaient déjà dans les années 20 l’idée de l’éducation comme accompagnement et non comme transmission de savoirs, font donc aujourd’hui figure de visionnaires. Et les pédagogies alternatives d’apparaître comme une réponse à la crise de l’école. Pour l’heure, même s’il y a des exceptions – comme l’école communale Clair-Vivre à Évere (Freinet) par exemple –, ces pédagogies semblent encore réservées à un public relativement favorisé, avec en corollaire une absence de mixité sociale.

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Elles intéressent les couches de population dites bobos, c’est-à-dire les classes moyennes orientées culture, explique encore Bernard Delvaux. Mise en difficulté, l’institution scolaire a du mal à trouver une réponse commune. Chaque école pourrait donc avoir tendance à proposer une offre spécifique en fonction de son public. Mais il n’est pas impossible qu’émerge progressivement un autre scénario. Il pourrait aussi y avoir une colonisation des écoles traditionnelles par ce type de pédagogie. Les écoles accueilleraient alors un public varié, loin de cette optique de niche où chaque modèle éducatif a son propre public. Nous voulons coupler le respect des individualités, l’égalité et un système éducatif qui sème de « toutes autres graines » que celles de la société actuelle, avance Bernard Delvaux. Car tel est, in fine, l’enjeu de la métamorphose de l’école. À quoi voulons-nous éduquer les enfants ?

 

Une crèche vers l’autonomie à Liège

Cybèle Krins, elle-même ancienne élève d’une « école nouvelle » dans la région de Lyon, vient d’ouvrir une crèche Montessori à Liège, à deux pas de la gare des Guillemins. Une initiative qui devrait plaire, à l’heure où l’inscription de Baby George dans une maternelle Montessori par ses princes de parents fait déjà exploser les demandes dans les établissements britanniques… Parmi toutes les pédagogies alternatives, Montessori est la seule adaptée aux tout-petits, explique cette jeune femme au calme olympien. Un simple coup d’œil à l’aménagement donne le ton.

Ici, pas de chaises trop hautes, d’évier inaccessible, d’assiettes trop lourdes. Chaque élément est pensé à la mesure de l’enfant. Tout est fait pour favoriser la liberté de mouvement. Tout est accessible. Les enfants sont amenés à débarrasser eux-mêmes, à faire la vaisselle. Nous proposons beaucoup d’activités de bricolage. Mais il n’y a pas d’activités de groupe. Lire des livres ou peindre, c’est quand ils veulent. Nous sommes seulement là pour les accompagner, développe-t-elle.

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À l’étage, une vaste salle accueille une rangée de petits lits. Nous voulions proposer des matelas à rebords qui permettent aux enfants de se glisser eux-mêmes dedans, mais nous n’avons pas eu l’autorisation de l’ONE, commente Cybèle Krins. Pour un non-initié, il peut aussi être étonnant de constater qu’une des tables à langer est presque à même le sol, pour que l’enfant puisse y grimper lui-même. Car le maître mot est l’autonomie. C’est aussi en fonction de leur développement individuel que les enfants fréquenteront tel ou tel espace de jeu. Par exemple, pour les plus petits, nous ne mettons pas à disposition des hochets qui peuvent rouler plus loin que ce qu’ils peuvent attraper. Cela permet de ne pas les mettre en situation d’échec, poursuit Cybèle Krins. Nous travaillons sur le réel. Ici, il n’y a pas de dînette, seulement de la vraie vaisselle adaptée à la taille des enfants. Chaque jour, nous faisons le pain avec eux. Cela favorise l’imitation mais au final, on a aussi quelque chose à manger ! À travers ces différents partis pris, la pédagogie Montessori permettrait aux enfants d’être plus à l’écoute de leurs propres besoins… et donc aussi plus calmes.

 

Maternelles au vert à Tilff

Non loin de Liège, une école Montessori a également ouvert ses portes. Installée sur le site champêtre d’Ecotopia, un projet citoyen autour de la culture et de l’agrobiologique, elle accueille aujourd’hui huit enfants de 3 à 6 ans – les classes « multi-âges » étant l’un des piliers de la pédagogie. Les enfants peuvent participer aux soins des poules, moutons, lapins et expérimentent la mise en place d’un petit potager. Anne Famerie, biologiste de formation et mère de deux enfants, est l’une des initiatrices du projet. Je cherchais un projet comme celui-ci pour mes enfants et je n’en trouvais pas, explique-t-elle. La jeune mère opte alors un temps pour l’enseignement à domicile – une tendance également en hausse – avant de faire profiter son petit dernier de cette nouvelle école.Aujourd’hui, mes deux enfants sont en primaire, dans une école classique, et ça se passe très bien, mais j’aurais préféré trouver une école dans la même philosophie, explique-t-elle.

Car beaucoup l’assurent : les enfants passés par l’alternatif » n’ont aucun mal à retrouver le chemin de l’école traditionnelle. Quitte à porter sur elle un regard critique, qui n’est pas sans en déranger certains. Comme beaucoup de projets de ce type – et même s’il existe en Belgique des écoles à pédagogie alternative subventionnées par les pouvoirs publics –, la séduisante structure de Tilff a un coût : 600 € mensuels pour les parents ayant un revenu net mensuel supérieur à 4 300 €, 400 € pour ceux qui gagnent moins de 3 800 €. Nous aimerions être subventionnés un jour bien sûr. Nous ne souhaitons pas que ce type d’enseignement soit réservé à un petit nombre mais pour cela il faut d’abord remplir certaines conditions, avance Anne Famerie.

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Secondaires transversales à Bruxelles

En septembre 2016, une nouvelle école secondaire à pédagogie active devrait ainsi voir jour à Bruxelles : un projet porté par les parents des élèves de l’école Singelijn, à Woluwe-Saint-Lambert, dans le souci de prolonger le projet pédagogique au-delà des primaires. Et le phénomène émerge partout en Europe. La Française Nadine Gauduin, ancienne enseignante et aujourd’hui formatrice en « discipline positive », en témoigne : après avoir formé 40 % des écoles publiques du canton de Genève, elle sillonne aujourd’hui l’Europe et au-delà, tant dans l’enseignement public que privé.

Même le Maroc et l’Égypte sont aujourd’hui intéressés. Les enseignants rencontrent partout les mêmes problèmes – disputes, indiscipline, agressivité –, y compris dans des contextes culturels très différents. Or, on ne peut plus y répondre de la même manière. Bien sûr, chaque adulte se dit : Jamais, je n’aurais osé parler comme ça à mon enseignant. Mais nous sommes dans une transition : le système vertical bascule et il est illusoire de se dire qu’on va pouvoir revenir en arrière, analyse la formatrice.

La réponse de la « discipline positive » ? Une approche transversale basée sur le développement des compétences socioémotionnelles des enfants : autonomie, responsabilité, capacité à faire des choix, autorégulation… Développer le sentiment de capacité de l’enfant, lui donner du courage et de la force, avec fermeté et bienveillance, explique celle qui anime aussi des ateliers à destination des parents. Au lieu de dire à un enfant : Je suis fier de toi, la discipline positive préconise le : Tu peux être fier de toi. Au lieu de lui affirmer que son dessin est beau, elle préférera commenter le processus : Tu t’es appliqué pour faire ça. Manière, commente Nadine Gaudin, de développer son référentiel interne

 

Lexique

• Montessori : L’éveil sensoriel de l’enfant et le développement de son esprit d’autonomie sont au centre de la pédagogie développée par Maria Montessori (1870-1952), médecin et pédagogue italienne.

• Steiner : L’art et la mise en oeuvre des matières enseignées fondent la pédagogie développée par Rudolf Steiner (1861-1925).

• Freinet : La pédagogie de Célestin Freinet (1896-1966) met surtout en avant l’aspect collectif, en stimulant le travail coopératif entre les élèves.

• Decroly : Fondée par le pédagogue et médecin belge Ovide Decroly en 1907, cette méthode est basée sur l’observation, et l’approche de l’enfant dans sa globalité.

• École nouvelle et pédagogie active : L’éducation nouvelle défend le principe d’une participation active des enfants. Elle a été développée par le Suisse Adolphe Ferrière (1879-1960), initialement dans des orphelinats et des internats.

• Discipline positive : Basée sur les théories du psychiatre autrichien Alfred Adler et très développée aux États-Unis, cette approche cherche à développer les compétences psychosociales grâce à l’encouragement.

 

Source : LeSoir.be

Dernière modification le 26 décembre 2023 à 13:05.