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Loin des cours magistraux, des professeurs d’université utilisent des méthodes d’apprentissage actives. Plus proches, selon eux, de la réalité à laquelle les étudiants seront vite confrontés.
Lundi après-midi, 16 heures. Une grosse vingtaine d’étudiants de 1ère année en sciences économiques et de gestion, à l’Université de Namur, entre en classe. La journée touche à sa fin, les mines sont un peu fatiguées. Encore deux heures à tenir… Mais le cours d’anglais de François-Xavier Fievez n’est pas un cours comme les autres. Loin du monologue professoral, des bâillements à gorge déployée et des exercices de grammaire ennuyeux, les étudiants, ici, sont actifs ; ce sont eux qui font le cours.
Au programme : apprendre plusieurs pages de vocabulaire de manière ludique. « Dans les syllabi, les listes sont longues et rébarbatives, explique François-Xavier Fievez. Lorsqu’ils étudient des pages de vocabulaire, les étudiants ont du mal à le réutiliser dans un autre contexte. » Alors, depuis septembre 2015, le professeur s’est lancé le défi d’enseigner la matière d’une tout autre manière : m’apprentissage par les jeux-cadres (lire l’encadré ci-dessous). « Ce sont des jeux vidés de leur contenu, et dont on ne garde que les règles », décrit l’enseignant. La structure du jeu conservée, il suffit de le remplir du contenu souhaité, selon le contexte d’utilisation.
Des étudiants rodés
Ce lundi, le prof a décidé de confronter sa classe au « mond-mapping ». Après quelques explications, les jeunes se réveillent, prêts à s’activer. Ils sont rodés : cela fait plusieurs mois maintenant qu’ils apprennent l’anglais de la sorte. L’objectif du jour : partir d’une idée centrale pour créer quatre concepts clés qui s’y rapportent, puis trois sous-concepts qui convergent vers ces mots-clés. Le tout rédigé sur de petites fiches.

Répartis en plusieurs groupes de trois ou quatre, les étudiants se lancent. Première étape : un brainstorming, sur base d’un thème central (un différent pour chaque groupe), pour créer les sous-catégories. Les idées fusent, ça chahute dans tous les coins. Mais le brouhaha est productif. « Attention, vos concepts ne doivent être ni trop vagues, ni trop évidents », lance l’enseignant, en passant d’une équipe à l’autre. Une fois tous les mots écrits, on retourne les fiches. Ne restent visibles que les sous-concepts.
« L’intelligence collective »
Les jeunes se déplacent désormais dans la pièce, passant dans chaque group. Le but : deviner les mots-clés et l’idée centrale des autres équipes. « On peut se poser des questions, mais uniquement en anglais », précise-t-on. Sur un banc, les mots « generation », « changes » et « ecology » sont dévoilés. Deux jeunes réfléchissent : « Future ? » tentent-ils, face au gardien des fiches. « Almost ! » répond le dernier. Après plusieurs essais, la bonne réponse sort : « Think of the future ! » A les observer, les étudiants s’investissent dans la tâche. Pour François-Xavier Fievez, les faire travailler en groupe « est essentiel pour qu’ils ne soient pas toujours dépendants d’une seule personne qui leur apprendrait tout. C’est le fruit d’une intelligence collective, davantage à l’image de ce qu’ils vont être amenés à faire dans la vie active et ce à quoi ils seront confrontés. »
Travailler en équipe, s’écouter, se répartir les tâches, oser, créer et proposer.
Les étudiants, eux, apprécient la méthode. L’un dit que c’est « plus intéressant que d’être assis à s’ennuyer », tandis qu’un autre met l’accent sur « la sociabilité » qui se crée à travers un bel apprentissage. Un troisième avoue : « il serait utile de mettre en place une telle pédagogie au cours de néerlandais… »
Pour terminer, François-Xavier Fievez invite la classe à exploiter le vocabulaire sous une forme plus artistique. En guise de consigne : « Utilisez le mot dans une représentation graphique pour le traduire. » Crayons en main, les étudiants se mettent à dessiner. Dans un coin, un groupe « brainstorme » et un membre dessine. Dans un autre, les étudiants se sont réparti les mots de vocabulaire et tous font glisser le crayon. « Il s’agit d’amener une dimension créative au cours », commente le prof. Et de conclure : ce n’est plus du remplissage de cerveau où j’ai l’impression de parler dans le vide ! ».
VALENTINE ANTOINE
Le prof « Confronter les étudiants à la réalité »
À l’université catholique de Louvain, les programmes de la section polytechnique (EPL) ont été réformés depuis septembre 2000 : dés la 1ère année, les étudiants en ingénieur civil se trouvent directement plongés dans le concret, grâce à l’apprentissage par problèmes et par projets ». Une méthode d’enseignement active, à l’opposé des traditionnels cours magistraux du supérieur. Benoît Raucent, professeur à l’EPL, et président du Louvain learning lab (l’institut de pédagogie universitaire), est à l’origine de cette méthode.
En quoi cet apprentissage consiste-t-il ?
Il s’agit d’une méthode pluridisciplinaire visant à mettre les étudiants en activité. Nous divisons les 400 étudiants en groupes de quatre à six personnes et nous les faisons travailler sur un problème, une thématique liée à l’actualité pour les motiver. Les deux premières semaines, ils travaillent sur le problème, sur la réflexion. Ensuite, pendant dix semaines, ils travaillent sur un projet à réaliser, un prototype à créer pour résoudre ce problème. Nous, nous assurons un suivi et leur donnons de nouvelles tâches chaque semaine.
À quel genre de problème sont-ils confrontés ?
Il peut s’agir, par exemple, d’un problème similaire à la catastrophe nucléaire de Fukushima, mais en Belgique. Le défi imposé aux étudiants est que, si un tel accident se produisait chez nous, comment y faire face sans qu’aucun homme ne doive pénétrer à l’intérieur de la centrale pour résoudre les choses. Ils sont alors amenés à créer un robot qui pourra le faire.
Quels sont les avantages d’une telle méthode ?
D’abord, cet apprentissage actif donne du sens aux étudiants, cela les confronte à la réalité. Ensuite, réaliser un tel projet permet de lutter contre la problématique de l’isolement de l’étudiant. Ils sont tout de suite en équipe, un élément moteur en termes de motivation et d’apprentissage. Ils s’écoutent, se répartissent les tâches et s’épaulent, aussi. Ils ne sont plus de simples numéros. Enfin, la pédagogie par projets permet de travailler sur une matière qui est tout sauf désincarnée. On est dans du concret, les étudiants se rendent tout de suite compte de ce qu’est un ingénieur, ce à quoi il sert, ce qu’il fait, etc. en outre, en travaillant par eux-mêmes et en étant actifs, ces jeunes retiennent plus de matière, et plus longtemps.
Propos recueillis par V. AN.
Apprendre mieux et plus vite
Les pédagogies actives ont la cote, et pas uniquement dans le domaine de l’enseignement. Les jeux-cadres (imaginés par un dénommé Thiagi), par exemple, sont tout aussi adaptables à une classe d’universitaires qu’à une classe du primaire, mais également à des équipes en entreprises ou à n’importe quel groupe de personnes. En tant qu’outils pédagogiques, les jeux-cadres font partie de ce qu’on appelle l’ « accelerated learning » ou le « mieux apprendre », concept repris en France par Bruno Hourst. Devenue une réelle entreprise, le « mieux apprendre » rassemble un certain nombre de pratiques pédagogiques et des formations interactives pour apprendre et communiquer des savoirs de manière différente. En tant que pratique pédagogique, les jeux-cadres « permettent de transmettre ou de générer du contenu entre apprenants, précise Nathalie Jacquemin, représentante du « mieux apprendre » en Belgique. C’est l’apprentissage par les pairs, d’une manière plus digeste, où le savoir n’est plus transmis par une seule personne ».
V.AN.
Pour en savoir plus : www.thiagi.fr
Source : Le Soir mercredi 13 avril 2016
De la crèche au secondaire, les pédagogies alternatives reviennent en force, séduisant les parents en quête d’une scolarité différente. Elles posent surtout la question d’une nécessaire métamorphose du système. |
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Nées au début du XXe siècle pour la plupart, ces nouvelles pédagogies prônent une école qui ne formate pas, qui n’érige pas l’échec en bâton et les bonnes notes en carotte. Et qui, accessoirement, engendre des Larry Page et des Jeff Bezos, fondateurs de Google et d’Amazon, passés par l’écurie Montessori, comme tant d’autres créatifs de la Silicon Valley. Chacune de ces pédagogies a évidemment ses spécificités et son jargon. Mais elles ont en commun de promouvoir l’autonomie des enfants et le respect réciproque entre élève et enseignant. Il faut relier cet intérêt à l’irruption d’Internet, explique Bernard Delvaux, chercheur en pédagogie à l’UCL, animateur au sein du mouvement citoyen Tout autre chose et auteur du livre Une tout autre École (Pensées libres, 2015). Internet a remis en question l’ordre établi et la légitimité des connaissances. Aujourd’hui, les élèves vont moins facilement croire la parole de l’enseignant, tout comme on croit moins facilement la parole du médecin, du chercheur, etc. Dans ce contexte, la relation entre le maître et l’élève ne peut plus rester la même, analyse-t-il. Maria Montessori et ses amis pédagogues, qui promouvaient déjà dans les années 20 l’idée de l’éducation comme accompagnement et non comme transmission de savoirs, font donc aujourd’hui figure de visionnaires. Et les pédagogies alternatives d’apparaître comme une réponse à la crise de l’école. Pour l’heure, même s’il y a des exceptions – comme l’école communale Clair-Vivre à Évere (Freinet) par exemple –, ces pédagogies semblent encore réservées à un public relativement favorisé, avec en corollaire une absence de mixité sociale. |
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Elles intéressent les couches de population dites bobos, c’est-à-dire les classes moyennes orientées culture, explique encore Bernard Delvaux. Mise en difficulté, l’institution scolaire a du mal à trouver une réponse commune. Chaque école pourrait donc avoir tendance à proposer une offre spécifique en fonction de son public. Mais il n’est pas impossible qu’émerge progressivement un autre scénario. Il pourrait aussi y avoir une colonisation des écoles traditionnelles par ce type de pédagogie. Les écoles accueilleraient alors un public varié, loin de cette optique de niche où chaque modèle éducatif a son propre public. Nous voulons coupler le respect des individualités, l’égalité et un système éducatif qui sème de « toutes autres graines » que celles de la société actuelle, avance Bernard Delvaux. Car tel est, in fine, l’enjeu de la métamorphose de l’école. À quoi voulons-nous éduquer les enfants ? |
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Une crèche vers l’autonomie à LiègeCybèle Krins, elle-même ancienne élève d’une « école nouvelle » dans la région de Lyon, vient d’ouvrir une crèche Montessori à Liège, à deux pas de la gare des Guillemins. Une initiative qui devrait plaire, à l’heure où l’inscription de Baby George dans une maternelle Montessori par ses princes de parents fait déjà exploser les demandes dans les établissements britanniques… Parmi toutes les pédagogies alternatives, Montessori est la seule adaptée aux tout-petits, explique cette jeune femme au calme olympien. Un simple coup d’œil à l’aménagement donne le ton. Ici, pas de chaises trop hautes, d’évier inaccessible, d’assiettes trop lourdes. Chaque élément est pensé à la mesure de l’enfant. Tout est fait pour favoriser la liberté de mouvement. Tout est accessible. Les enfants sont amenés à débarrasser eux-mêmes, à faire la vaisselle. Nous proposons beaucoup d’activités de bricolage. Mais il n’y a pas d’activités de groupe. Lire des livres ou peindre, c’est quand ils veulent. Nous sommes seulement là pour les accompagner, développe-t-elle. |
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À l’étage, une vaste salle accueille une rangée de petits lits. Nous voulions proposer des matelas à rebords qui permettent aux enfants de se glisser eux-mêmes dedans, mais nous n’avons pas eu l’autorisation de l’ONE, commente Cybèle Krins. Pour un non-initié, il peut aussi être étonnant de constater qu’une des tables à langer est presque à même le sol, pour que l’enfant puisse y grimper lui-même. Car le maître mot est l’autonomie. C’est aussi en fonction de leur développement individuel que les enfants fréquenteront tel ou tel espace de jeu. Par exemple, pour les plus petits, nous ne mettons pas à disposition des hochets qui peuvent rouler plus loin que ce qu’ils peuvent attraper. Cela permet de ne pas les mettre en situation d’échec, poursuit Cybèle Krins. Nous travaillons sur le réel. Ici, il n’y a pas de dînette, seulement de la vraie vaisselle adaptée à la taille des enfants. Chaque jour, nous faisons le pain avec eux. Cela favorise l’imitation mais au final, on a aussi quelque chose à manger ! À travers ces différents partis pris, la pédagogie Montessori permettrait aux enfants d’être plus à l’écoute de leurs propres besoins… et donc aussi plus calmes. | |
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Maternelles au vert à TilffNon loin de Liège, une école Montessori a également ouvert ses portes. Installée sur le site champêtre d’Ecotopia, un projet citoyen autour de la culture et de l’agrobiologique, elle accueille aujourd’hui huit enfants de 3 à 6 ans – les classes « multi-âges » étant l’un des piliers de la pédagogie. Les enfants peuvent participer aux soins des poules, moutons, lapins et expérimentent la mise en place d’un petit potager. Anne Famerie, biologiste de formation et mère de deux enfants, est l’une des initiatrices du projet. Je cherchais un projet comme celui-ci pour mes enfants et je n’en trouvais pas, explique-t-elle. La jeune mère opte alors un temps pour l’enseignement à domicile – une tendance également en hausse – avant de faire profiter son petit dernier de cette nouvelle école.Aujourd’hui, mes deux enfants sont en primaire, dans une école classique, et ça se passe très bien, mais j’aurais préféré trouver une école dans la même philosophie, explique-t-elle. Car beaucoup l’assurent : les enfants passés par l’alternatif » n’ont aucun mal à retrouver le chemin de l’école traditionnelle. Quitte à porter sur elle un regard critique, qui n’est pas sans en déranger certains. Comme beaucoup de projets de ce type – et même s’il existe en Belgique des écoles à pédagogie alternative subventionnées par les pouvoirs publics –, la séduisante structure de Tilff a un coût : 600 € mensuels pour les parents ayant un revenu net mensuel supérieur à 4 300 €, 400 € pour ceux qui gagnent moins de 3 800 €. Nous aimerions être subventionnés un jour bien sûr. Nous ne souhaitons pas que ce type d’enseignement soit réservé à un petit nombre mais pour cela il faut d’abord remplir certaines conditions, avance Anne Famerie. |
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Secondaires transversales à BruxellesEn septembre 2016, une nouvelle école secondaire à pédagogie active devrait ainsi voir jour à Bruxelles : un projet porté par les parents des élèves de l’école Singelijn, à Woluwe-Saint- Lambert, dans le souci de prolonger le projet pédagogique au-delà des primaires. Et le phénomène émerge partout en Europe. La Française Nadine Gauduin, ancienne enseignante et aujourd’hui formatrice en « discipline positive », en témoigne : après avoir formé 40 % des écoles publiques du canton de Genève, elle sillonne aujourd’hui l’Europe et au-delà, tant dans l’enseignement public que privé. Même le Maroc et l’Égypte sont aujourd’hui intéressés. Les enseignants rencontrent partout les mêmes problèmes – disputes, indiscipline, agressivité –, y compris dans des contextes culturels très différents. Or, on ne peut plus y répondre de la même manière. Bien sûr, chaque adulte se dit : Jamais, je n’aurais osé parler comme ça à mon enseignant. Mais nous sommes dans une transition : le système vertical bascule et il est illusoire de se dire qu’on va pouvoir revenir en arrière, analyse la formatrice. La réponse de la « discipline positive » ? Une approche transversale basée sur le développement des compétences socioémotionnelles des enfants : autonomie, responsabilité, capacité à faire des choix, autorégulation… Développer le sentiment de capacité de l’enfant, lui donner du courage et de la force, avec fermeté et bienveillance, explique celle qui anime aussi des ateliers à destination des parents. Au lieu de dire à un enfant : Je suis fier de toi, la discipline positive préconise le : Tu peux être fier de toi. Au lieu de lui affirmer que son dessin est beau, elle préférera commenter le processus : Tu t’es appliqué pour faire ça. Manière, commente Nadine Gaudin, de développer son référentiel interne |
Valeurs nouvelles• Respect du rythme de l’enfant • Bienveillance • Horizontalité • Auto-évaluation • Autonomie |
Lexique• Montessori : L’éveil sensoriel de l’enfant et le développement de son esprit d’autonomie sont au centre de la pédagogie développée par Maria Montessori (1870-1952), médecin et pédagogue italienne. • Steiner : L’art et la mise en oeuvre des matières enseignées fondent la pédagogie développée par Rudolf Steiner (1861-1925). • Freinet : La pédagogie de Célestin Freinet (1896-1966) met surtout en avant l’aspect collectif, en stimulant le travail coopératif entre les élèves. • Decroly : Fondée par le pédagogue et médecin belge Ovide Decroly en 1907, cette méthode est basée sur l’observation, et l’approche de l’enfant dans sa globalité. • École nouvelle et pédagogie active : L’éducation nouvelle défend le principe d’une participation active des enfants. Elle a été développée par le Suisse Adolphe Ferrière (1879-1960), initialement dans des orphelinats et des internats. • Discipline positive : Basée sur les théories du psychiatre autrichien Alfred Adler et très développée aux États-Unis, cette approche cherche à développer les compétences psychosociales grâce à l’encouragement. |
Source : LeSoir.be |